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Interview - Frédéric Walter

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Perfume & Cosmetics

Portraits

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12/12/2020

Chers alumni,

Nous avons le plaisir de partager avec vous un nouveau portrait d’alumni, Frédéric Walter, aujourd’hui «Creative Marketing Director» chez Givaudan.

Interviewé pour le Pôle IFM Alumni Parfums et Cosmétiques par Béatrice Ferrié, Frédéric partage avec nous ce qu’il a appris au cours de ses nombreuses expériences et nous livre sa vision de l’avenir.

Frédéric Walter est diplômé de L’École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales depuis 1993. Il a ensuite rejoint et obtenu le Master Spécialisé de Management de l’Institut Français de la Mode en 1994. 

Après ses débuts dans l’industrie des parfums "côté client" au département marketing du groupe l’Oréal, il a rejoint le groupe Givaudan "côté fournisseur" . Il a ensuite a très vite évolué dans le groupe au travers de différentes fonctions jusqu’au poste qu’il occupe aujourd’hui.

Frédéric est aussi intervenant à l ‘IFM sur le thème du parfum pour les programmes MSC Luxury et Management depuis une quinzaine d’années.

Avant de partager avec vous l’interview de Frédéric, nous souhaitons le remercier chaleureusement pour sa disponibilité et sa générosité dans le partage de son expérience. Merci Frédéric !


Frédéric, quelle est ta matière première préférée et pourquoi  ?

C’est le patchouli car cette matière première a un côté très mystérieux. Elle est à la fois boisée, verte et terreuse. C’est une matière profonde, qui scintille dans la nuit. Cette matière m’a toujours fasciné même avant que j’en connaisse l’histoire sulfureuse. Historiquement, le patchouli arrive en Occident à la fin du 18ième siècle grâce aux châles en cashmere que les indiens imbibent de patchouli car son odeur repousse les mites. Ces châles sont très prisés par les «élégantes» de l’époque et surtout par les «cocottes ou femmes de mauvaise vie» qui les portent pour se protéger du froid et pouvoir les laisser glisser rapidement afin de montrer leurs charmes. Très rapidement, le patchouli a donc été associé à une certaine liberté des mœurs en Occident. Puis, dans les années 60 et 70, le patchouli est aussi associé au «flower power». Les jeunes qui voyagent et reviennent d’Inde en sont souvent parfumés. Le patchouli devient ainsi le symbole d’une certaine libération. Ce qui me plaît dans cette matière est donc à la fois son odeur et l’univers très sulfureux auquel elle a pu être associée.

 Quel programme as-tu suivi à l 'IFM et pourquoi  ? 

J’ai suivi le programme de Management en 1994. A l’époque, il n’y avait qu’un seul programme de management. C’était, je pense, la 4ème ou 5ième promotion. A cette époque, nous étions basés rue Jean Goujon à Paris dans un hôtel particulier. Nous étions vingt ou trente par promotion, bien loin de ce que l’école est aujourd’hui. Et quand on voit ce qu’elle est devenue, c’est assez fascinant.

Avant d’intégrer l’IFM, j’avais fait l‘ESSEC et eu une première expérience professionnelle chez Colgate sur une marque de déodorants. A cette époque, nous étions en pleine guerre du Golfe et malgré un contexte difficile pour trouver du travail j’avais trouvé ce premier emploi. J’ai démissionné du jour au lendemain, au bout de six mois, car je ne m'y sentais pas heureux . J’ai fait l’IFM dans la foulée en intégrant au dernier moment la promotion 1994. C’était une sorte de thérapie pour moi, car mon expérience chez Colgate m’avait assez traumatisé. Et ce fut la meilleure des décisions possibles. J’ai passé une année merveilleuse à l’IFM. Cela a vraiment été l’année que j’ai préférée parmi toutes mes années d’études. J’ai toujours adoré la mode et cette année de formation fut fantastique. A la fin de l’année, j’ai tout de suite été recruté par L ‘Oréal.

Quel lien entretiens-tu avec la mode et la création suite à ce programme ? 

J’aime beaucoup la sociologie de la mode, les images de mode et la mode en général. Au-delà d’un art appliqué, je pense que la mode est un outil sociologique et un excellent capteur de l‘époque. Un bon créateur est un celui qui est capable de bien synthétiser l’esprit du temps et de le mettre en forme. Aujourd’hui, je pense que les marques Balenciaga et Gucci savent très bien le faire. Les deux créateurs à la tête de ces marques, Demna Gvasalia et Alessandro Michele savent vraiment retranscrire ce qu’est l’époque tout en revisitant les codes de leur marque. Gucci, explorant la notion de genre et de «gender fludity», mettant en scène l’affirmation d’identités, quelles que soient leur originalité et questionnant la notion de Beauté; Balenciaga, avec un côté plus sombre, plus politique aussi, dans le contexte effrayant de la globalisation, la société de surconsommation, mettant en scène les tensions climatiques et sociétales de notre époque. Je suis moins consommateur de mode que ce que je ne l’étais, mais je trouve que ces deux marques sont vraiment très intéressantes par rapport à ce qu’elles disent d’aujourd’hui. Je pense que la mode possède vraiment la capacité de synthétiser et de traduire dans des vêtements ce que peut être une époque, ses angoisses, ses aspirations, ses tensions. 

Quelles valeurs privilégies-tu dans ton travail en tant que créateur ... et aussi écrivain puisque tu as écrit le livre «Extraits de Parfums» en 2003  ?

Ce livre est plutôt une anthologie. J’ai fait un travail de DJ en mixant différents écrits sur le parfum. Je suis un grand lecteur et j’aime beaucoup la littérature. L’idée m’est venue lorsque j’étais commercial chez Quest (aujourd’hui Givaudan). Je me suis rendu compte que le vocabulaire utilisé pour parler de parfum par la majorité des individus était assez limité (C’est frais, c’est doux, c’est puissant). En effet, à moins d’être dans la profession et d’être capable de nommer chaque ingrédient par sa molécule (il a une facette aldéhydée, le côté indolé est trop présent…), il est très difficile de parler de parfums de façon précise. Sans formation technique, le vocabulaire commun ne permet pas de décrire un parfum. Il y a peu de mots spécifiques qui permettent de décrire une odeur dans le langage commun. Partant de ce constat, j’ai commencé à rassembler des textes philosophiques et littéraires, et j’ai proposé ce projet d’anthologie à Bruno Remaury, qui était en charge des Editions IFM Du Regard. Le livre est disponible à la bibliothèque de l‘IFM d’ailleurs. Il explique cette absence de langage olfactif dans les civilisations occidentales; pourquoi le sens olfactif a longtemps été méprisé, en particulier depuis l’ère des «lumières», période pendant laquelle la vue fut le sens le plus valorisé. L’odorat et le toucher ont alors été relégués au deuxième plan, car perçus comme des sens animaux. Ces sens étaient rejetés à cette époque car les mettre en valeur aurait mis en avant l’animalité de l’être humain. L’ouïe et la vue étaient valorisées car ces sens étaient perçus comme plus nobles. Ainsi, j’ai voulu transmettre un certain savoir à travers ce livre. Car j’attache beaucoup d’importance à la valeur de transmission du savoir.

En parlant de transmission, tu es justement intervenant à l’IFM dans les programmes MSC Luxury et Management. Quelle est ta vison de l’éducation et de la formation pour les plus jeunes ? 

Dans  l’industrie des parfums  cet aspect "transmission" est vraiment intéressant parce que quand tu travailles pour un parfumeur, tu te rends compte très rapidement que tes interlocuteurs, qui sont des spécialistes du marketing ne sont pas toujours très bien formés, olfactivement parlant. Ils sont responsables du développement de leurs parfums, mais c’est souvent difficile pour eux de bien transcrire ce qu’ils veulent car ils n’ont pas le vocabulaire, ils ne savent pas toujours comment cela fonctionne côté parfumeur. En fait, l’idée d’intervenir à l’IFM m’est venue parce qu’il y a une vingtaine d’années, je participais à un jury de travaux d’étudiants de fin d’année sur le thème du parfum. Il y avait toujours une bonne analyse marketing dans ces mémoires d’étudiants, mais rien sur le plan olfactif. Les étudiants s’exprimaient extrêmement bien sur le concept, la marque ou le packaging du produit mais n’étaient pas capables de décrire l ‘odeur. Il n’y avait aucune dimension olfactive. Et on m’a expliqué qu’ils n’avaient pas de cours sur le parfum. J’ai donc proposé d’en faire un. Le métier du parfum étant connexe à l ‘univers de la mode c’était logique qu’un tel cours existe. Et ce d’autant plus que de nombreux étudiants de l ‘IFM travaillent ensuite dans cette industrie à la sortie de l’école. J’ai donc monté le programme il y a 20 ans. D’un cours de quinze heures on est aujourd’hui à un cours de trente heures que j’enseigne aussi au x étudiants du programme MSC Luxury. Les panels d’étudiants sont différents. MSC Luxury rassemble une vingtaine de nationalités différentes, avec des parcours très divers. C’est très intéressant de voir les étudiants partager entre eux leurs descriptions olfactives car les mots qu’ils utilisent diffèrent selon leurs cultures. Je leur demande de m’expliquer soit leur itinéraire olfactif (les parfums de leur enfance, puis de leur adolescence jusqu’à aujourd’hui), soit de décrire le parfum qu’ils portent aujourd’hui à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. C’est émouvant de voir comment ils s’approprient le parfum et surtout comment ils maitrisent les techniques de communication d’aujourd’hui pour pouvoir en parler. Et je croise souvent certains alumni qui me disent qu’ils ont choisi de travailler dans le monde du parfum grâce à ce cours qui les a beaucoup inspirés. Rien ne me fait plus plaisir: c’est vraiment ce que je voulais. Partager ma passion du parfum et la transmettre aux étudiants.

As-tu recours à la communauté IFM alumni pour des conseils, du réseautage ou du partage ? 

Honnêtement non car je n’en ai pas encore eu besoin. Mais je suis très attaché à mon rôle d’intervenant pour les étudiants.

Mais si j’ai besoin, pour Givaudan, d’un intervenant sur des problématiques de créativité, de développement durable, je m’adresse à l ‘IFM, car ses experts peuvent m’aider. C’est plutôt comme cela que j’utilise le réseau IFM. l'IFM représente une ressource de savoirs et de consultants possibles pour les problématiques que l’on peut rencontrer chez Givaudan.

As-tu des conseils à partager avec la communauté ?

Je pense très important de partager une communauté de valeurs. Je serai beaucoup plus à l‘aise en entretien avec quelqu’un qui a fait l’IFM et qui a apprécié son parcours d’étudiant et les valeurs de l’école, comme moi. 

Et des TIPS plus personnels sur tes sources d'inspiration au quotidien et ta façon de te ressourcer ? 

J’aime beaucoup l’art contemporain. Aller voir des expositions d’art contemporain est une manière pour moi de m‘aérer l’esprit. Je vais voir beaucoup d’expositions. Rien ne m’émeut autant qu’une exposition bien conçue ou je sens à la fois l‘intelligence et l’expertise, la maîtrise des artistes. Je reste toujours assez fasciné par le génie humain, sa capacité à inventer de nouvelles choses, sa créativité. Cela me fait plaisir et me ressource.

Je pense à la dernière exposition que j’ai vue avant le confinement d’Octobre à Saint Étienne. C’était une exposition de Robert Morris qui est l’un des papes du minimalisme. Ce n’est pas un artiste très connu en France. Il a réalisé des créations absolument monumentales. Le musée de Saint Étienne est un musée est très pointu en art contemporain. Pour cette exposition ils ont réactivé une dizaine de pièces gigantesques de Robert Morris. Je ne connaissais ses œuvres qu’à travers des catalogues et les voir en vrai fut fascinant. Ensemble d’énormes cubes de miroirs, installations de bois de feutre, minimalistes et gigantesques à la fois, qui provoquaient beaucoup d’émotions: une expérience physique et plastique unique. 

Je pense également à l’exposition Chanel qui sera encore d’actualité en 2021. J’ai pu la voir juste avant le confinement. Elle est très technique et se focalise sur le vêtement. La maison Chanel a choisi de mettre en lumière la créativité et le génie visionnaire de sa créatrice, en passant rapidement sur sa vie privée. Cette exposition permet vraiment de voir combien elle était avant-gardiste et révolutionnaire. Certains modèles des années trente sont d’une modernité délirante. C’est  très beau, très bien fait et très bien conservé. Certaines robes en mousseline sont encore dans un état incroyable alors qu’elles datent de 90 ans . Peut-être ont-elles été refaites tant elles sont magnifiques.

Enfin, dans le contexte économique actuel si spécifique lié au COVID, quelle est ta vision pour la suite…?

Je suis d’un naturel assez optimiste. Je pense que la crise va actualiser ce qui était latent.  On va dématérialiser davantage, faire plus de réunions à distance, le télétravail va être intégré dans les conditions de travail normales. Et ce sera bien pour tout le monde: l’entreprise, la planète et le salarié. Malheureusement économiquement cela va être dur pour beaucoup de monde. La crise va vraiment mettre sur le carreau les professions précaires n’ayant pas les ressources pour passer le cap des six mois ou un an... C’est dommage. Cette crise est un accélérateur, un catalyseur, c’est une forme de darwinisme économique : les choses qui devaient disparaître vont disparaître encore plus vite; et celles qui devaient apparaître... de même.


Photos:

1 - Portrait de Frédéric au Louvre d'Abu Dhabi

2 - Alex Yun Yao

3 - Edi Dubien Lyon

4- Robert Morris Mirror Cubes

5- Chanel Galliera

    


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