Chers alumni,
Nous avons le plaisir de partager avec vous le portrait de Katalin Berenyi, aujourd’hui Global General Manager de la marque Clarins.
Interviewée pour le Pôle IFM Alumni Parfums et Cosmétiques par Béatrice Ferrié, Katalin partage avec nous ce qu’elle a appris au cours de ses nombreuses expériences et nous livre sa vision de l’avenir.
Katalin Berenyi (IFM Management 1996) est diplômée de L’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Elle a ensuite rejoint et obtenu le Master Spécialisé de Management de l’Institut Français de la Mode. Elle est également titulaire d’un MBA en Finance de la Jones Graduate School of Business – Rice University aux Etats-Unis.
Après ses débuts dans l’industrie de la mode au département marketing de Pierre Cardin, elle a rapidement rejoint le groupe l’Oréal dans lequel elle a très vite évolué au sein des services marketing de différentes marques de beauté. En pleine ascension de carrière, alors qu’elle occupe un poste de Directrice Marketing Travel Retail pour la division luxe, elle décide de quitter le groupe afin de créer sa propre entreprise.
Commence alors une expérience entrepreneuriale qui va marquer le monde des cosmétiques puisque Katalin crée la marque Erborian en 2007, la première marque notamment à inventer et lancer la BB crème, concept qui sera ensuite repris et adapté par de nombreux concurrents. Elle va diriger et développer l’entreprise pendant plus de 8 ans avant de la revendre au groupe l’Occitane pour lequel elle travaillera quelques années afin d’assurer la transition.
En 2019, Katalin a rejoint le groupe Clarins en tant que Directrice Générale de la marque afin de participer au développement du groupe qui s’est recentré sur la beauté suite à la vente de ses marques parfums au groupe l’Oréal.
Enfin, Katalin a écrit le livre « les 11 lois du marketing créatif » afin de raconter son expérience et partager certains outils qu’elle a pu utiliser lors de son aventure entrepreneuriale. Ce livre est dédié à tous les « combattants et combattantes » des temps modernes, entrepreneurs ou salariés qui souhaitent apporter une dose de créativité dans leur vie personnelle ou professionnelle et s’inspirer du concept du « Petit Poivre » : « Petit est le Poivre mais fort ! ». Vous le trouverez facilement en version e-book sur Internet.
Avant de partager avec vous l’interview de Katalin, nous souhaitons la remercier chaleureusement pour sa disponibilité et sa générosité dans le partage de son expérience. Merci Katalin !
1/ Katalin, vous êtes passionnée de beauté quel est votre ingrédient cosmétique favori?
C’est une question intéressante et à vrai dire je n’en ai pas car je ne crois pas en un ingrédient spécifique mais en un ensemble d’ingrédients. En effet, ce n’est jamais un seul ingrédient qui peut avoir une action en cosmétique mais un mélange. Parfois, on fait l’erreur de pousser au maximum un ingrédient dans une formule et malheureusement cela peut entraîner des allergies de la peau à la longue. Tout simplement parce que le dosage n’est pas adapté. Je citerai ici une expression très utilisée par les asiatiques qui parlent d’un « travail de synergie de plusieurs ingrédients et actifs utilisés dans les bons dosages dans une même formule ». C’est beaucoup plus efficace et respectueux de la peau, évitant ainsi tout problème de saturation ou d’allergies. Car on ne sait parfois pas d’où une réaction à une crème vient et ce peut être tout simplement parce que certains ingrédients sont trop poussés dans la formule.
Évidemment, certains ingrédients populaires sont très prisés par les consommateurs : c'est le cas de l’acide hyaluronique qui est très efficace pour repulper la peau ou des peptides ou encore des collagènes qui sont très efficaces pour lutter contre les rides, mais ces derniers fonctionnent toujours grâce à une formule qui s'appuie sur plusieurs ingrédients. Chez Erborian, j’ai aussi beaucoup travaillé avec des ingrédients fermentés très performants également parce que la taille des peptides via ce procédé de production permet une pénétration optimale dans la peau. En tout cas ce n’est jamais un seul ingrédient qui est efficace, c’est toujours un ensemble d’ingrédients et une synergie d’actifs qui prouve leur efficacité.
2/ Quel programme avez-vous suivi à l 'IFM et pourquoi l’aviez-vous choisi ?
J’ai intégré l’IFM en 1994 suite à mes études à l’ENSAD, alors que l’école était encore située rue Jean Goujon. A l’époque, c’était une toute petite école par rapport à aujourd’hui. Le programme de management était récent. Je recherchais alors un programme plus business et le programme de management était unique en son genre. Didier Grumbach était Directeur des Etudes pendant ma scolarité. Et nous avions la chance de voir intervenir des personnes extraordinaires pendant nos cours, comme Pierre Bergé par exemple. Certaines rencontres marquent à l’IFM, parfois à travers une simple phrase… et vous poussent à réfléchir différemment.
3/ Quel lien entretenez-vous avec la mode et la création suite à ce programme? En quoi votre formation vous a-t-elle aidé au cours de votre parcours?
Venant d’une formation d’Art et de Design avant d’intégrer l’IFM, j’étais fondamentalement quelqu’un de passionnée et déjà très à l’aise avec la création. Ce qui me manquait à l’époque était les outils marketing et commerciaux. Comment faire d’un travail créatif quelque chose qui va produire du chiffre d’affaire et générer des ventes ? Le programme de l’IFM m’a ouvert les yeux sur la nécessité de maîtriser ces outils en tant que créative. Cela m’a permis de connecter ma créativité à une vision plus business ainsi que de rentrer dans les détails du mix marketing : portefeuille produits, politique d’assortiment, stratégie de distribution…
Des sujets extrêmement bien enseignés à l’IFM. Et cela m’a d’ailleurs donné l’envie d’approfondir encore puisque 2 ans après l’IFM et être partie aux Etats-Unis j’ai fait un MBA. Donc j’ai finalement rebouclé la boucle avec une formation marketing et stratégie plus poussée encore à la fin.
Pour conclure, la création est ma formation d’origine et m’anime toujours et je l’ai complétée avec une vision plus business grâce à l’IFM. On me pose d’ailleurs souvent la question si la création ne m’a pas manquée par la suite dans mes rôles marketing ou dans mes fonctions de dirigeante d’entreprise. En fait pas du tout car je crée toujours mais différemment. Je veux dire par là que je ne dessine plus comme lors de mes premières années de mon existence à des fins professionnelles (car je dessine toujours pour le plaisir). Je mets ma créativité au service d’un business, d’un client ou d’une marque à travers une façon de penser, de réfléchir et une vision.
4/ Quelles valeurs privilégiez-vous dans votre travail au sein d'une entreprise? Et en tant qu'entrepreneur puisque vous avez entre autre projet cofondé Erborian ?
Je pense qu’avec les années certaines valeurs deviennent de plus en plus importantes dans nos vies pour la plupart des personnes de ma génération. Ceci dit la nouvelle génération est aussi très attachée au respect de ses valeurs (j’ai trois filles qui sont aussi très sensibles au respect de leurs engagements en lien avec leurs valeurs). Pour ma génération, les valeurs qu’une entreprise porte sont fondamentales dans le choix de la rejoindre ou non. Dans ma décision de rejoindre Clarins, ce point a été fondamental : j’ai eu une vraie connexion avec les valeurs de Clarins, c’était comme une rencontre naturelle. L’entreprise partage des valeurs qui me sont chères : l’exigence, l’innovation, la volonté de toujours mieux faire, de comprendre le client, d’apporter quelque chose de nouveau, la capacité à se remettre en question, la sincérité, la transparence, l’authenticité, la volonté d’être soi-même et de ne pas chercher à ressembler à …et enfin la bienveillance. Ces valeurs sont extrêmement constructives et importantes à mes yeux.
5/ Avez-vous recours à la communauté IFM Alumni pour des conseils, du réseautage ou du partage?
Je le fais de temps en temps mais certainement pas assez et j’aimerais me rendre plus disponible pour le faire. L’année dernière a été en effet très chargée avec mon arrivée chez Clarins, l’entreprise étant en plein virage avec la vente de son portefeuille parfums à l’Oréal. La marque Clarins devient donc le centre de l’entreprise. Notre activité s’accélère et notre stratégie de développement de l’entreprise prend de l’ampleur. J’espère avoir plus de temps à l’avenir pour impliquer des étudiants dans des projets créatifs. Je suis très ouverte à ce type de projets et serais ravie de le faire.
6/ Vous avez écrit un livre en 2011 « Les 11 lois du marketing créatif » dans lequel vous donnez déjà de nombreux conseils et outils à vos lecteurs. Auriez-vous aujourd’hui de nouveaux conseils à partager avec la communauté de l’ IFM Alumni?
Ce livre était comme un mémento pour moi je ne cherchais pas forcément à donner des conseils ou à laisser penser aux gens que j’allais leur expliquer ce qu’il fallait faire. Je pense en effet que chacun à son propre parcours et que c’est bien comme cela.
J’ai écrit ce livre pour partager mes convictions profondes, convictions qui s’étaient construites en passant d’un grand groupe à l’entrepreneuriat. J’ai réalisé à l’époque que la « boîte à outils » utile dans des grands groupes était différente de celle utile en tant qu’entrepreneur. J’avais envie de proposer une forme de guide efficace et concret qui rapproche les deux. Les outils fondamentaux évoqués dans le livre n’ont pas changé aujourd’hui. De nos jours la créativité est toujours aussi importante, le fait de donner envie aux consommateurs et de se différencier de la concurrence également.
A l’époque d’ailleurs j’évoquais le fait que les frontières de distribution étaient en train de se confondre et que l’un des fondamentaux était de penser « client » plutôt que de se cantonner à un type de distribution établi. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui. J’ai beaucoup été contestée sur ce point lors de la sortie du livre: « Mais Katalin, tu ne peux pas cibler une distribution en pharmacie et chez Sephora… ! » Ah oui et pourquoi non? C’est bien la même cliente qui se rend dans les deux magasins non? A l’époque je basais mon analyse sur mes expériences professionnelles mais aussi sur du bon sens et de l’observation client. Je me rends compte aujourd’hui que ce constat est d’autant plus vrai. Depuis ce livre, j’ai cédé Erborian à l’Occitane et j’ai continué à travailler au sein du groupe en tant que « Chief Creative Officer » quelques années. Puis récemment j’ai rejoint Clarins. Je suis donc revenue dans un grand groupe.
Un parcours à la fois entrepreneurial et salarial demande de faire appel à des compétences différentes. Cela fait travailler différents « muscles », différents types de flexibilité et d’adaptabilité... Quand on est entrepreneur c’est passionnant. Vous pouvez vous écouter, aller vers vos envies, vous avez l’impression d’être responsable de votre réussite. Je dis bien ‘l’impression » car la réussite dépend de nombreux facteurs. Certaines marques sont sublimes mais déposent pourtant le bilan…Cela me fend le cœur car je connais la qualité des formules de ces marques et je sais à quel point un joli travail a été réalisé pour certaines d’entre elles. Mais pour différentes raisons cela n’a pas fonctionné et ce même si la marque l’aurait mérité. C’est un gros « learning ». Il ne faut jamais trop prendre les choses personnellement. Ce qui dépend de nous en tant qu’entrepreneur est en fait une petite partie de la réussite. Il y a toujours plus de la moitié des facteurs de réussite qui ne dépendent pas de nous. Et ce n’est pas parce que ça ne marche pas une fois que ça ne peut pas marcher une deuxième, troisième, quatrième fois... Et c’est la ténacité aujourd’hui qui est importante. S’engager très fortement dans son projet sans prendre personnellement la non-réussite ou la réussite l’est aussi. Parce qu’un projet entrepreneurial nous échappe toujours à moment donné. Parfois les étoiles sont alignées et cela fonctionne - et parfois pas. Et la prochaine fois marchera mieux. Donc aujourd’hui encore plus qu’hier la ténacité, le positivisme et la bienveillance sont des qualités primordiales.
7/ Avez-vous Katalin, des conseils ou TIPS plus personnels sur vos sources d'inspiration au quotidien et votre façon de vous ressourcer?
Je ne pense pas être différente des autres sur ce point. J’essaye d’avoir une bonne hygiène de vie et de dormir suffisamment. J’ai une famille équilibrée. J’ai un mari qui me dit aussi quand je ne me ressource pas suffisamment. Parfois il me demande de rentrer plus tôt …lorsque je travaille je ne vois pas le temps passer et du coup j’ai tendance à faire de très longs horaires. Je pense qu’il est important de maintenir un équilibre global. Aujourd’hui mes enfants sont grands et je n’ai donc plus à m’occuper d’eux comme avant. J’ai plus de temps et c’est plus facile pour moi. Ceci dit lorsque mes enfants étaient petits j’étais chez l’Oréal puis Erborian et je travaillais aussi beaucoup. Mais quand vous êtes une femme et une maman vous vous débrouillez toujours pour y arriver. Pour me ressourcer, j’essaye aussi de me faire du bien. Je pense que nous les femmes, on ne se donne pas souvent l’autorisation de prendre soin de soi et je pense qu’il faut apprendre à le faire plus. Ce peut être simplement prendre un bain, ou ne pas faire le diner, ou passer du temps au téléphone avec une amie, regarder une série Netflix…Nous fonctionnons tous comme des « batteries » et nous recharger est primordial. Enfin, je lis énormément. Mes choix sont très divers, très variés et cela m’aide également beaucoup. A ce sujet je recommande aux alumni les livres suivants :
-The Power of Moments: Why Certain Experiences Have Extraordinary Impact de Chip et Dan Heath
-Start with Why de Simon Sinek
-The Decision Dilemma -- Cognitive Bias de William P. Stormer
-Lovemarks by Kevin Roberts
8/ Enfin, dans le contexte économique actuel si spécifique lié au COVID, quelle est votre vision pour la suite… ?
Je pense que nous allons avoir encore quelques mois difficiles jusqu’à la fin de l’année voire jusqu’au premier trimestre. Avoir fermé toute la distribution pendant trois ou quatre mois a été très compliqué. Maintenant que les points de ventes ont rouvert, les gestes sanitaires nous empêchent de communiquer avec les clients de la même façon. Par exemple, on n’utilise plus de testeurs en point de vente. Cela va nous pousser vers l’avant comme dans toutes les situations de crise. Si l’on essaye de faire comme avant cela ne pourra pas marcher. Le Covid nous amène à réfléchir différemment. Le monde va changer...
Pour revenir à cette histoire de testeurs, pour moi l’enjeu est de comprendre ce que l’on pourrait inventer qui permette aux femmes d’essayer les produits et découvrir la beauté des textures malgré les contraintes liées à ce contexte. Poser la question différemment amène ainsi une réponse différente. Se poser la question de « comment utiliser les testeurs compte tenu des contraintes actuelles… » n’amènera pas le même résultat que poser la question « comment faire découvrir la beauté des textures de nos produits aux clientes dans le contexte actuel ».
Aussi, le Covid a changé la façon de consommer. Chez Clarins nous avons pratiquement doublé les ventes en ligne. Et de nombreux autres changements sont à venir. L’e-commerce va encore évoluer davantage et plus vite. La relation au client et aux réseaux sociaux également. Je suis convaincue que cette crise va amener une multitude d’opportunités si on se pose les bonnes questions et si on n’essaye pas de faire comme avant. L’avant n’existera plus. Les entreprises se rendent compte par exemple que le télétravail fonctionne très bien, que les clients recherchent davantage encore de simplicité et d’authenticité. Le vrai goût des choses et la personnalité de chacun deviennent de plus en plus importants. Les entreprises vont devoir se remettre en question et il est possible que de nouveaux « jobs » se créent, de nouveaux besoins, qu’une sphère digitale complètement réinventée voit le jour.
9/ Un dernier message à adresser aux Alumni ?
Oui, leur dire que l’IFM est une communauté merveilleuse. Je n’en connais aucune autre si forte et passionnée. Les métiers s’y rencontrent avec un savoir-faire unique autour de la créativité et des problématiques business. C’est un mélange de cerveaux gauches et de cerveaux droits. Il y a très peu voire pas du tout d’autre école qui offre cela, du moins pas à ma connaissance.
Béatrice Ferrié ( eMBA GFM 2016-2017)
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