NOHÉ, LA TERRE PROMISE D’ANNE-LAURE SILVESTRE
Depuis la Bretagne, Anne-Laure Silvestre a fondé NOHÉ, une marque engagée de vêtements mixtes où l’humain symbolisé par le H prime sur une industrie de la mode souvent décriée. Du mythe fondateur, la créatrice garde comme valeur directrice l’espoir d’un monde meilleur, avec le vêtement beau et bien fait comme trait d’union. Seule à bord mais animée par une vision collaborative, celle qui préfère le « nous » au « je » croit à l’effort commun plus qu’aux dieux.
Même à travers l’écran, le vert de son pull, un prototype taille M « un peu trop grand » selon elle, éclaire notre rencontre virtuelle. L’aventure de NOHÉ commence non pas sur un bateau, bien qu’Anne-Laure apprécie les sorties en mer pour se reconnecter à la nature, mais sur la plateforme Ulule où sont disponibles en précommande ses trois premiers modèles en coton biologique : un pull donc, un sweatshirt et un t-shirt. Anne-Laure me fait le récit de son projet entrepreneurial imaginé à Paris et qu’elle a véritablement lancé à Lorient où elle s’est installée suite à un grave accident de vélo.
Une vie « extraordinaire »
Il y a un avant et un après l’accident. Lorsqu’elle se fait renverser par un camion en 2018, Anne-Laure est alors Senior Merchandiser de collection chez Lacoste. Elle se fait une promesse : « je me souviens avoir regardé le ciel et j’essayais de me projeter en pensant : si jamais je perds ma jambe, il faut que ma vie soit extraordinaire. Si je la perds, je deviendrai une athlète paralympique. » Après sa greffe et pendant son année de rééducation, Anne-Laure passe son temps non pas à s’entraîner mais à lire. Alors que le Mouvement des Gilets Jaunes fait la Une de l’info, elle lit tout ce qu’elle peut trouver sur la fracture sociale et la fracture environnementale comme un écho à sa propre blessure corporelle. « J’ai vraiment réalisé que ce monde n’était plus possible, qu’il existait parce qu’on continuait à le faire tourner mais qu’il nous menait à notre perte. Je me suis dit qu’il était temps d’écrire une nouvelle histoire. »
Entrepreneure, même pas peur
L’entreprenariat n’était pas forcément la voie que s’était fixée Anne-Laure. Après l’IÉSEG School of Management (Institut d'Économie Scientifique et de Gestion), elle s’est orientée vers le Conseil. Une mission pour Chanel, « un univers artistique dingue », fut un premier déclic pour celle qui préfère le vêtement à la mode. Diplômée de l’IFM en 2013 et après un stage de fin d’études chez Celine (LVMH), Anne-Laure est embauchée chez Lacoste (Maus Frères). Elle travaille autant sur l’univers de la femme que de l’homme et de l’enfant, apprend la co-création des collections avec un point de vue commercial et créatif en lien avec les stylistes et gère la partie coordination de vente avec les filiales. Au sein de Lacoste, elle tente alors de mettre en place un projet intrapreunarial pour des collections plus responsables mais son accident stoppe net son élan. « Il est plus facile de créer quelque chose de nouveau que de faire changer une machine qui fonctionne depuis des années de cette manière. J’ai pris la décision de partir, Lacoste a été très à l’écoute et m’a soutenue dans mon envie de projet. » Une rupture conventionnelle et un déménagement dans le Morbihan plus tard pour reconnecter son corps et son esprit à la nature, NOHÉ voit le jour le 1er janvier 2020.
Faire les choses bien
De la mode, elle aime le côté créatif et la manière dont un vêtement révèle les personnalités. De la mode, elle n’aime pas l’industrie, son manque de transparence, son besoin de consommation, et pourtant, elle l’assure : « on peut faire les choses bien. » Pour les premiers modèles de NOHÉ, Anne-Laure a appris à maîtriser Photoshop et s’est inspirée de sa propre garde-robe urbaine, mixte et composée de beaux vêtements qui « durent ». Sa micro-capsule est composée de trois pièces simples en coton biologique. Sensible aux microplastiques déversés dans les océans, elle qui vit désormais près de la mer n’a fait aucune concession sur le choix de ses matières, quitte à resserrer ses marges et à privilégier la vente en ligne pour garder un « prix raisonnable ». Le résultat ? un pull à 150 euros, un sweatshirt à 100 euros et un t-shirt à 45 euros. Pour le sourcing comme pour trouver les ateliers de production, Anne-Laure s’est débrouillée seule. Le salon Première Vision en mars dernier et la débrouille sur internet ont fait le reste. Son pull est ainsi fabriqué à Nantes et le sweat et t-shirt près de Porto au Portugal. « Je vois NOHÉ comme un hub de sensibilisation à l’environnement et au social, à travers les vêtements. »
H comme Humanité
« Je cherchais un nom qui était porteur d’espoir, qui corresponde à mon esthétique minimale et qui sonne mixte. L’histoire de Noé me touchait : cet homme qui quitte une terre dévastée pour construire un monde nouveau avec des animaux et de l’amour, je trouvais ce symbole fort. » Elle choisit d’ajouter le H pour le côté humain, car si Anne-Laure est la seule aux commandes, elle sait s’entourer d’ami·e·s bénévoles et compétent·e·s comme celui qui l’aide pour le marketing ou cette autre qui revoit son plan de trésorerie. « Je dis plus souvent « nous » ou « on ». Ce projet je le porte seule, mais c’est un projet que je veux commun. Le but est de faire monter des gens à bord. » Dans le monde de NOHÉ, créer de la valeur n’a de sens que si elle est utile à la société et solidaire. Anne-Laure a choisi de soutenir des associations comme « Toit à moi » qui achète des logements pour les sans-abris. Elle dédie une partie de sa production à ces sans-abris car « la réinsertion passe aussi par le vêtement, cela te conforte dans le fait d’être en transition ». Pour la préparation des commandes, elle fait appel à l’agence « a2i » spécialisée dans le travail temporaire d’insertion afin de créer de l’emploi. Et quand je lui demande à quel·le humain·e ressemble son·a client·e idéal·e, la réponse fuse : « le rêve ultime serait Cyril Dion, une personnalité avec une vraie sensibilité environnementale qui a envie de construire un autre monde ». Ou alors François Civil pour sa « modestie » et sa « simplicité » qui émanent, elle l’espère, de son projet. Ou encore la chanteuse Brö pour son côté « badass ». Du cran et de l’envie, voilà ce qui la définit dans son rôle de cheffe d’entreprise.
Transparence et Instagram
Alors que se clôt sa campagne de financement participatif, Anne-Laure connaît déjà les prochaines étapes : continuer à créer des pièces intemporelles qui durent dans le temps et les mêler à des pièces plus créatives à partir de matières recyclées. Dans une vraie démarche de transparence, elle a appris à incarner son projet engagé jusque sur Instagram. « La transparence est un modèle dans lequel je crois beaucoup. Pour repenser le modèle, je veux communiquer sur mes marges et être dans une vraie démarche de proximité avec les gens. » NOHÉ est un récit de société au long cours qui se résume en quelques mots : collaboratif, solidaire, transparent et vert.
« Si on se reparle dans un an, j’aurai gagné si entre temps j’ai pu animer des conférences sur pourquoi il faut changer de modèle, pourquoi l’argent ne doit pas gouverner le monde. Tu pourras écrire #idéaliste ! » Le rendez-vous est noté, retrouvons-nous en 2022, NOHÉ !
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